2015
Thierry Le Saëc
THIERRY LE SAËC. LA POETIQUE DU TRAIT
Marie-Françoise Le Saux, conservateur en chef des musées de Vannes
Le travail de Thierry Le Saëc, bien que souvent montré, ne se livre pas facilement. Les entrées dans l’œuvre sont multiples, indissociables et nécessaires à la compréhension du tout. Rien de linéaire, contrairement aux apparences, mais une accumulation par strates serait une image juste de cette production considérable.
Tout part du livre, au cœur de son activité créatrice, autant dire de sa vie. Comme lecteur assidu tout d’abord, auteur de poésie, collectionneur d’ouvrages d’artistes qu’il admire, artisan inspiré en matière de composition, impression et édition. Les textes poétiques dont il se laisse traverser entrent en résonance avec son propre monde. Le livre ouvre et scande des séries de dessins, de gravures, puis de peintures, en un processus complexe. Ainsi les poèmes d’Anne de Staël, « Océanique », génèrent-ils une suite de gravures qui évoquent l’ardoise griffée : une série d’eaux-fortes imprimées sur un fond noir de papier japon contrecollé. La justesse, vibrante, du sillon creusé, le choix averti du papier qui restitue au plus près le projet d’impression, tout ici est réflexion, précision, quasi perfection.
L’estampe étant un multiple, c’est tout naturellement qu’il entreprend de réaliser un tirage de chacune de ses planches gravées pour les collections du musée.
D’autres séries, non titrées, de dessins ou de gravures rehaussées de pastels gras, se déclinent comme une longue conversation ininterrompue, une sorte de poème fleuve. L’artiste ne peut se satisfaire d’une pièce isolée pour exprimer une idée, il lui faut le multiple - original -.
La peinture n’échappe pas à cette nécessité de la série. La couleur conquiert là une place plus affirmée. Si, d’une manière générale, le travail de Thierry Le Saëc est d’abord « chose mentale », avant de s’ancrer dans la matière, il arrive que des ensembles surgissent, inattendus, prenant au dépourvu le peintre lui-même. C’est le cas dans cette série de petites pièces sur bois, où le vert et le rose se bousculent dans une urgence peu fréquente. Ces peintures, brossées en un temps très court, sont accrochées au mur de l’atelier, elles témoignent de la part insaisissable de la création, ce jaillissement irrépressible que l’on nomme l’art. Si Thierry Le Saëc ne s’interdit pas ces fulgurances, son travail, le plus souvent, est tenu, voire tendu, d’une intériorité sans faille, condition même de l’émotion.
Les tonalités colorées ramassées autour de rouges profonds, de verts sombres sur lesquels se superpose un écran de traits noirs serrés qui assourdissent l’ensemble, confèrent aux peintures une densité austère. Depuis plus de deux ans, cette série des traits occupe l’artiste qui les décline sur les formats les plus variés.
Le projet de l’exposition à la Cohue, avec ses murs imposants et la rudesse de la pierre, a déterminé le peintre à poursuivre ses recherches sur de très grandes toiles, pour certaines en diptyque. Ces formats inhabituels peints dans l’atelier de Saint-Armel sont la vérification de ce que le trait ouvre de sensation. Le geste mobilise tout le corps, comme dans la marche, ou la danse.
Dans ce travail récent, la réponse éclate, évidente parce qu’éprouvée. La peinture est question d’espace et n’est en rien assujettie au format. Elle est paysage, respiration, aussi nécessaire au peintre que ses longues randonnées en montagne. Mais Thierry Le Saëc livre peu la part trop personnelle de ses expériences de vie. Pas d’épanchements complaisants dans les nombreux catalogues qui lui sont consacrés. L’œuvre met une prudente distance entre la réalité et son expression artistique. Tout juste pouvons-nous parfois apercevoir, dans la fenêtre de l’ordinateur, la photographie d’un paysage de vacances glissée entre deux fichiers d’œuvres.
D’où vient pour l’artiste ce sentiment d’être allé jusqu’au bout d’un cycle, d’une réflexion ? Qu’une question d’ordre plastique, pour un temps, va le laisser en paix ? Cette interrogation obstinée de l’espace au moyen de la ligne s’achève et ouvre un nouvel horizon sur une toile que Thierry Le Saëc ressent comme joyeuse, qualificatif étonnant attaché au dernier tableau de l’exposition qu’il reconnaît, comme on le dit d’une vieille connaissance. Cette œuvre renoue avec des séries antérieures où la tache, longuement, questionne la couleur, la lumière, l’espace. Rien de définitif donc, le geste, toujours recommencé, animé par la pensée vivante fait l’œuvre. Pour Thierry Le Saëc, cette méditation active est la seule manière de vivre.
